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Le
front de l'est est un des grands oubliés1
de l'histoire militaire, et en particulier française. Je ne parle
pas du conflit germano-soviétique, de 1941 à 1945, mais bien du
front de l'est de la Première Guerre mondiale, où se font face
Allemands et Austro-Hongrois d'un côté, et Russes de l'autre, pour
l'essentiel. Alors que la commémoration du centenaire voit fleurir
les ouvrages et articles en français consacrés au front de l'ouest,
vu et disséqué sous tous les angles ou presque, ceux qui parlent du
front de l'est sont rarissimes, voire inexistants. Dans l'opinion
commune, l'armée impériale russe reste un « rouleau
compresseur » mis en échec dès le mois d'août 1914 à
Tannenberg, ravagé par l'alcoolisme, la désobéissance et la
désertion, et qui s'effondre comme un château de cartes en 1917.
Cette vision datée se base souvent sur la lecture d'ouvrages
dépassés qui font encore autorité aujourd'hui. Or, l'armée
impériale russe, pendant la Première Guerre mondiale, est loin
d'être ce colosse aux pieds d'argile que l'on se plaît et complait
à peindre encore et toujours. En réalité, les problèmes qu'elle
rencontre sont loin de lui être exclusifs, par rapport aux autres
pays engagés dans le conflit. Les buts de guerre et les objectifs
stratégiques ne font pas l'objet de dissensions. L'armée a reçu
les moyens nécessaires, et la Russie a été capable de mettre en
marche son économie de guerre. La structure stratégique et
opérative est appropriée et la structure opérative-tactique de
l'armée russe correspond à la doctrine d'avant-guerre. Ces
avantages sont éclipsés en 1914-1915 par plusieurs facteurs. Si
ceux-ci sont résolus en 1917, la Russie n'a pas réussi à surmonter
en revanche le problème des effectifs. C'est parce que ces problèmes
se combinent avec l'opposition politique et les contraintes
économiques sur la population qu'a lieu la révolution de février
1917, alors que paradoxalement l'armée russe a fait preuve d'une
grande faculté d'adaptation à partir de 19152.
Partons à la découverte d'une armée dissoute dans la tourmente des
révolutions de 1917, qui n'avait pas été vaincue militairement
jusqu'à cet événement déterminant, mais qui, par le discours des
bolcheviks qui lui ont succédé, parfois des récits des émigrés
« blancs » pourtant issus de cette même armée
tsariste, et d'une historiographie occidentale qui peine parfois à
sortir de son « pré carré », reste encore
largement dans l'ombre.
Stéphane Mantoux.